Vous rêvez de ne plus jamais «attraper froid»? C’est la promesse à laquelle s’engage le philosophe Maël Lemoine, spécialiste des sciences médicales, dans Petite philosophie du rhume. Son secret? Vous faire intégrer, une bonne fois pour toutes, que cette calamité n’est pas liée au fait d’avoir pris froid. «Vous pouvez donc enfin marcher pieds nus, courir par temps de pluie et ne plus aller chercher votre écharpe avant de sortir la poubelle», assure-t-il, tout en ironisant: «C’est une très bonne nouvelle pour l’humanité, ne trouvez-vous pas?»
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Au-delà de la boutade, l’auteur a voulu diagnostiquer pourquoi, en matière de rhume, «la vérité n’a pas remplacé la superstition». Un bref essai aussi documenté que passionnant. Interview.
Le Temps: Pouvez-vous formellement affirmer que les rhumes ne sont pas causés par le fait de prendre froid?
Maël Lemoine: Non! Mais je peux formellement affirmer qu’il n’y a aucun élément solide qui permette de le penser. Le froid majore les risques pour certaines personnes atteintes de maladies respiratoires ou cardiaques. Mais pour la plupart des gens, il est inoffensif: seulement désagréable. En tout état de cause, il ne provoque pas de rhumes, malgré ce que le langage et nos représentations suggèrent.
Les rhumes sont pourtant plus fréquents pendant l’hiver…
Il y a au moins deux facteurs qui l’expliquent. Le premier facteur est une simple coïncidence: le retour d’un temps plus froid survient souvent environ trois semaines après la rentrée des classes. C’est à peu près le temps qu’il faut au rhinovirus pour se répandre de manière visible parmi les enfants. Ceux-ci constituent en effet le réservoir naturel du virus: ils se touchent les uns les autres beaucoup plus souvent que les adultes, et lui permettent ainsi de survivre, la transmission étant en effet cruciale pour lui.
Rien à voir donc avec le froid?
Si vous n’êtes pas convaincus, allez faire un tour sur mon compte Twitter (@PtitPhiSciences). J’ai posté une courbe, celle des rhumes au Japon. Dans ce pays, la rentrée des classes a lieu au printemps. Trois semaines après, invariablement, soit vers la fin avril, il y a un pic épidémique de rhumes. Pourtant, le temps se réchauffe… Mais il existe un deuxième facteur, directement lié au froid: plus il fait froid, plus les humains vivent confinés pour s’en protéger… Et plus la probabilité de transmission s’accroît.
En matière de diagnostic, tout ne serait qu’une question de probabilités?
Absolument. Les médecins le savent, mais il leur est difficile de partager ce fait avec leurs patients: ils ont le sentiment que les gens perdraient confiance en eux s’ils l’apprenaient. J’enseigne la philosophie des sciences en faculté de médecine depuis quinze ans. C’est angoissant pour un étudiant en médecine de découvrir qu’il devra prendre la quasi-totalité de ses décisions dans une incertitude plus ou moins importante. Nous le savons bien, même si nous n’aimons pas l’entendre. L’absolue certitude, cela n’existe qu’en mathématiques, et les mathématiques du quotidien, pour un médecin, ce sont surtout les probabilités.
Le froid provoque transitoirement des symptômes qui ressemblent à s’y méprendre à ceux du rhume, le mal de gorge, le nez qui coule, les éternuements, la toux
Mais d’où vient donc cette croyance que les rhumes sont liés au froid?
Elle est très ancienne et très répandue dans le monde, ce qui semble être un argument majeur en sa faveur. Pourtant, pensez que partout sur la terre, on avait une expression pour dire que le soleil «se lève» le matin, alors que c’est au contraire la terre qui pivote. Les croyances sur les rapports entre froid et rhume ne cessent en outre de se transformer: ici on pense que c’est le froid continu, là que c’est le froid humide, ou le froid sec, ou le vent froid, ou encore le «chaud et froid». En réalité, la raison principale est simple: le froid provoque transitoirement des symptômes qui ressemblent à s’y méprendre à ceux du rhume, le mal de gorge, le nez qui coule, les éternuements, la toux, parfois aussi l’impression de fièvre. Mais ces symptômes ne sont que passagers.
Comment comprendre alors cette résistance face aux nombreuses démonstrations faites pour établir que les rhumes sont liés à des virus?
Pour un philosophe des sciences, c’est en effet surprenant de le constater. Mon hypothèse, c’est que nos croyances s’accumulent plutôt qu’elles ne se réfutent. La plupart des gens ont accepté l’idée que le virus est la cause du rhume, mais ils veulent continuer à croire quand même que le froid y est pour quelque chose. Alors ils inventent des hypothèses pour permettre à ces croyances de coexister.
Qu’est-ce que cette fausse croyance insistante nous dit finalement de notre rapport à la médecine?
Nous sommes des êtres essentiellement pragmatiques, pas des théoriciens. Tant que nous nous couvrons contre le rhume, nous sommes convaincus que c’est efficace. Et «on ne sait jamais». Mais au contraire, dès que nous osons essayer de nous exposer au froid, et que nous constatons que cela ne change rien aux rhumes, nous sommes capables de nous défaire de cette croyance. Ce sont les actes, pas les idées qui nous convainquent en médecine.
Soyons pratiques alors: comment se protéger du rhume en cette saison si propice?
La principale voie de contamination, ce sont les yeux et les narines que l’on touche avec nos mains non lavées. Si vous arrivez à vous défaire de cette habitude, les risques deviennent négligeables. Contrairement à une idée reçue, on trouve très peu de virus dans l’air, même dans les gouttelettes aéroportées par la toux et les éternuements. Le baiser est faiblement contagieux: bonne nouvelle, non?
Et côté pharmacie?
Si vous aimez les pastilles pour la toux, la vitamine C, les tisanes, la gelée royale, etc., ne vous privez pas, mais ça ne sert à rien contre le rhume! Aucun traitement préventif n’a prouvé son efficacité. Le sirop peut être remplacé par du miel et les pastilles par de vrais bonbons sortis de chez le confiseur: c’est tout aussi efficace pour adoucir un peu votre malheur – et c’est quand même bien meilleur. Boire chaud soulage la gorge, peu importe ce que vous buvez. L’alcool ne sert à rien, pas plus que la grosse suée: tout cela vient de notre pittoresque folklore, intarissable quand il s’agit du rhume!
Petite philosophie du rhume – ou le remède pour ne plus jamais «attraper froid», de Maël Lemoine. Ed. Hermann, 120 p.